Hameau de Cacouna


 Le Hameau de Cacouna 


par Lynda Dionne et Georges Pelletier*


   Le secteur le plus ancien de Cacouna se trouve situé près du site ornithologique, non loin du port de mer. En effet, ces terres qui côtoient les marais ont été les premières à être défrichées en 1765 dans la seigneurie LeParc.

   En ce premier temps de la colonisation, l’isle de Cacona et les berges avoisinantes ont accueilli des familles venues d’Acadie. Ces pionniers y ont construit leurs demeures et leurs bâtiments de ferme ce qui a formé le premier hameau. 

   Dans ce lieu-dit Cacona, se trouvait 

  • la maison du notaire Michel Saindon, 
  • l’auberge et le magasin des trois frères Simon, Jean-Roch et Louis Talbot dit Gervais, 
  • le relais de poste du capitaine Pierre Sirois dit Duplessis et 
  • le moulin banal seigneurial.

Vue aérienne de la presqu’île de Gros-Cacouna avec les premières terres concédées en 1765 et le Chemin des Côtes de 1844, aujourd’hui la rue du Patrimoine (route 132). 

Photo : Yvan Roy (1987)

Les premiers habitants

   En 1758, des pêcheurs du Kamouraska surveillaient la grande pêche à marsouins et les pêches à fascines installées à la pointe nord-est de la presqu’île pour le seigneur des fiefs de la rivière du Loup et LeParc. 

   À l’hiver, des Acadiens qui fuyaient la déportation, se réfugièrent dans les cabanes de pêcheurs de l’île et continuèrent leur route au printemps suivant. D’autres familles acadiennes, les Bergeron, les Saindon, les Godin, et les Guichard ont pris le même chemin d’exil. Le groupe s’arrêta au même endroit et décida de s’y établir. D’abord, ces « squatters » ont construit des abris temporaires et ont défriché un petit lopin avant d’obtenir une concession1

   En 1765, Isaac Warden, représentant du seigneur James Murray de la rivière du Loup, leur alloua ces terres. L’année suivante, l’arpenteur John Collins releva les limites des seigneuries et traça un plan où il dessina les parties défrichées en face de l’Isle de Cacona ainsi que les lots à octroyer vers l’île Verte et l’Anse-au-Persil2.

Le moulin à farine seigneurial

   Vers la fin du 18e siècle, le hameau de Cacona comptait quarante-cinq censitaires. De nouvelles familles venues des villages en amont, Saint-André et Kamouraska avaient rejoint le groupe d’Acadiens. 

   Établis au sud de la presqu’île, ces agriculteurs avaient déboisé leurs terres dans la forêt des berges et construit leurs maisons. Dans les premières années, ils semaient le blé à la volée entre les souches dans les clairières et chaque cultivateur devait porter moudre au Moulin Banal de la dite Seigneurie tous les grains qu’il recueillera sur la dite terre, sans pouvoir le faire moudre ailleurs qu’en payant au-dit seigneur, ses Hoirs et ayans Causes le droit de mouture ordinaire3. À chaque automne après la récolte des champs, c’était le temps de charger les voitures à cheval de sacs de grains et d’emprunter le sentier qui menait au Bord-de-l’eau.   

   Non loin de la terre d’Agapit Moreau, l’eau de la petite rivière tournait la roue du moulin à farine seigneurial construit en bas de la côte. En 1786, ce bâtiment, qui n’avait qu’une seule moulange, rapportait huit boisseaux de blé en droit de mouture fixé à 1/14 des grains par habitant. 

   Avec l’augmentation du nombre de familles établies dans les cinq rangs et la formation du village de Saint-Arsène en 1846, les seigneurs Édouard et William Fraser firent ériger cinq ans plus tard, un moulin en pierre de 60 pieds sur 37 pieds sur les rives de la rivière Verte. Les habitants de Cacouna délaissèrent alors le moulin construit au bord du fleuve près de la rivière du Petit Moulin4.

Maison construite par le notaire Michel Saindon. Entre 1789 et 1809, elle servit de maison-chapelle. 

Photo tirée de Laurent Saindon, Histoire et Généalogie de la famille Saindon d’Amérique du Nord, p.85

La maison-chapelle des Saindon

   Dans le lieu-dit de Kakouna, la maison du notaire et marchand Michel Saindon était la plus grande. Ce dernier avait repris le commerce de marchandises et de denrées qu’il avait pratiqué dans la vallée de la rivière Saint-Jean. 

   Ayant étudié en droit notarial, Michel Saindon obtint une commission royale afin de devenir notaire pour le territoire s’étendant de Kamouraska à Rimouski, car la colonie en avait grandement besoin5.  Entre 1769 et 1780, le notaire Saindon rédigea près de 600 contrats pour ces habitants. 

   Après son décès, son fils Jean hérita de la grande demeure. En 1789, elle servit de maison-chapelle aux habitants de Cacouna après que ceux-ci en eurent fait la demande à l’évêque Mgr D’Esglis. Un prêtre missionnaire y célébra la messe jusqu’à la construction de la première chapelle en 1809, près de la Fontaine Claire. 

   L’ancienne demeure du notaire a été déménagée par deux fois et aurait aussi servi de maison d’école. Finalement en 1844, elle a été relocalisée sur le Chemin des Côtes6 (aujourd’hui, le gite La Veilleuse rue du Patrimoine (route 132)).

Le relais de poste du capitaine Sirois

   Le chemin du premier rang tracé en 1798 traversait des terres argileuses et les voitures à cheval y creusaient des ornières. Située non loin des battures, cette première route était fréquemment inondée lors des grandes marées. De plus, il n’était pas facile pour les habitants d’entretenir cette section. 

   Après de nombreuses plaintes sur la mauvaise qualité du chemin, on décida alors de la déplacer sur le coteau. Avec l’ouverture du nouveau Chemin des Côtes, plusieurs agriculteurs y ont alors déménagé leurs maisons et leurs granges7

   Construite sur une terre en face de la pointe est de l’isle de Cacona, la demeure du capitaine de milice Pierre Sirois dit Duplessis a aussi été déménagée. Ce dernier occupait le poste le plus important avant l’instauration des conseils municipaux de Cacouna en 1845 et 1855. À la fois juge de paix et agent des terres, on s’adressait à lui pour régler des litiges de bornage et de cours d’eau. Avant l’ouverture des auberges, le capitaine Sirois accueillait les voyageurs et les passants (marchand, cordonnier et notaire itinérant) et recevait le courrier, car sa maison servait de relais de poste en 17878.

Maison ancestrale des Talbot avec ses bâtiments de ferme, vers 1930. Le magasin occupait la partie est de la demeure. En 1919, le petit-fils de Simon Talbot, Félix-Alonzo s’occupait du commerce de « grocerie ». Coll. Bertrand Gaudreau

L'Auberge et magasin de la famille Talbot

   Débarqués des bateaux à voile mis à sec sur les battures de l’isle de Cacona, les voyageurs et les commerçants ambulants se rendaient à partir de 1822 chez Simon, Jean-Roch et Louis Talbot dit Gervais. 

   Les trois frères originaires de Saint-Roch-des-Aulnaies avaient une auberge et un magasin. Entre 1817 à 1833, ils s’étaient associés pour troquer les aliments de base (sacs de farine, de sel, et de sucre) avec les habitants9. La grande demeure, qui abritait leur commerce, avait appartenu à Basile Saindon. Après le décès de ce dernier en 1819, son épouse Marguerite McLaughlin s’était remariée à Simon Talbot10

   En 1844, le déplacement du chemin Royal sur le coteau avantageait ce dernier, car il commerçait aussi la chaux fabriquée dans son fourneau près du fleuve. Il fournissait ainsi les maçons qui montaient les nombreux solages de pierre pour les maisons déplacées. 

   L’agriculteur et marchand Simon Talbot, qui vendait aussi du bois, s’intéressait à la construction et à la réparation des goélettes. Il a été propriétaire de deux bateaux, la Brother (1841) et la Anastasie (1856) qui transportaient les denrées du port de Québec jusqu’à la presqu’île de Cacouna11.

   Encore aujourd’hui, la pointe de Gros-Cacouna, qui par le passé avait été un point d’ancrage pour les bateaux à voile, permet aux navires avec la construction du port de mer en 1964, d’être à l’abri. À l’intérieur de la jetée, les bateaux chargent ainsi leur cargaison de bois ou de papier. L’accès au port de mer se situe non loin de l’ancienne demeure de la famille Talbot.

* Notes biographiques

   Lynda Dionne a gradué en enseignement des Arts plastiques au secondaire et 
   Georges Pelletier a une formation d’ingénieur forestier. 
   
   Maintenant retraités, ces deux conjoints, qui demeurent à Cacouna, ont toujours eu une passion commune, l’histoire du Bas-Saint-Laurent. D’ailleurs, depuis une quarantaine d’années, ils ont écrit des livres, des articles, des panneaux et des guides d’interprétation du patrimoine traitant de la vie des premiers habitants, de la villégiature, du commerce et de la navigation. La trame de fond de leurs textes provient toujours de documents d'archives et des témoignages recueillis.

   Au cours des années, ils ont écrit Des forêts et des hommes, 1880-1982, dans la série Aux Limites de la mémoire (Publications du Québec, 1997). Ils ont aussi collaboré aux livres Du souvenir au devenir Rivière-du-Loup en 2000, L’Île Verte : le fleuve, une île et son phare en 2009 et Histoires de train, Rivière-du-Loup, carrefour ferroviaire de l’est du pays en 2016. Aux éditions EPIK de Cacouna, ils ont produit, en 2008, Découvrir Cacouna, ses lieux-dits et ses circuits et en 2011, Commerce et villégiature à Cacouna aux 19e et 20e siècles. En 2016, ils ont rédigé le livre La rivière du Loup et ses chutes, le Platin, son verger et son boisé -- Lieux d’histoire et de souvenirs. Présentement, ils écrivent l’histoire des anciens moulins à farine et à scie de la région de Kamouraska à Trois-Pistoles.

   En 2012, le Conseil de la culture du Bas-Saint-Laurent leur a décerné le prix du patrimoine du Bas-Saint-Laurent dans la catégorie « Transmission, interprétation et diffusion ».

Remerciements aux auteurs pour avoir autorisé le reproduction de cet article..

Bibliographie

1- Laurent Saindon, « Histoire et Généalogie de la famille Saindon d’Amérique du Nord, Tome 1 : Histoire », Société d’édition Saindon enr. 1992, pp. 82, 115, 124 et 125.

2- Greffe de Jean-Baptiste Taché, Papier Terrier de Kakouna et Plan of the Seigniory of River du Loup and its dependances as surveyed in the year 1766 by John Collins, BAnQ (Sur les terres au sud de la presqu’île, trois maisons étaient construites).

3- Rent Roll of the Seigneurie of Rivière-du-Loup, 14 février 1787, fonds Fraser, BAnQ et André Dionne et al. , Essai d’histoire civile et sociale de Kakouna, p. 9.

4- Rent Roll op. cit., greffe du notaire Jean-Baptiste Chamberland, #309, 20 août 1851 et Plan de la Seigneurie Cacouna, D. S. Ballantyne, mars 1856, BAnQ. (La rivière du Petit-Moulin y est clairement identifiée).

5- Laurent Saindon, op. cit. pp. 135-136.

6- Réal Lebel, s. j. Au pays du Porc-Epic—Kakouna, Le Comité des fêtes de Cacouna, 1975, p. 54, greffe du notaire Jean-Baptiste Taché, 19 août 1818, BAnQ, ( En 1818, Jean Gasseau, premier maître d’école épousa Marie-Anne Saindon.) et Archives municipales de la paroisse Saint-Georges-de-Cacouna, 7 décembre 1843.

7- Procès verbal qui règle le chemin de front de la première concession de la seigneurie de Kakona, 13 et 14 septembre 1798, fonds Grands-Voyers BAnQ et Lynda Dionne et Georges Pelletier, Le Bas de Cacouna, ses habitants et leur histoire, Dossier - Journal EPIK de Cacouna, juin 1998, p. 2.

8- Noms des Paroisses, Maitres de Poste, et distance en lieues de Québec aux Trois Pistoles, Almanach du Québec, 1787, Bibliothèque de l’Université Laval et Lynda Dionne et Georges Pelletier, L’hébergement à Cacouna de la colonisation à la villégiature, Dossier - Journal EPIK de Cacouna, juin 1997, p 1.

9- Listes des auberges, ville et banlieue, de la campagne 1821-1822, BAnQ, Recensement national de Kakouna, 1825, BAC et greffe de Rémi Ouellet, # 344, 30 avril 1832, BAnQ (Selon un contrat passé devant le notaire Rémi Piuze, les frères Talbot étaient associés depuis environ 15 ans ).

10- Yvon Lévesque, Répertoire des baptêmes, des mariages et des sépultures Paroisse Saint-Georges-de-Cacouna — Comté de Rivière-du-Loup —1813-1986, Société de généalogie de Québec, publication numéro 122-2011, Québec, juin 2011, décès de Basile Saindon le 18 décembre 1819, p. 357 et mariage de Marguerite McLauglin sa veuve avec Simon Talbot dit Gervais 8 août 1820, p. 256.

11- Greffe de François Huot, 12 juin 1857, BAnQ, Registre maritime du Port de Québec, volume 202, # 57/1840 et # 57/ 1856, BAC et Lynda Dionne et Georges Pelletier, Commerce et villégiature à Cacouna aux 19e et 20e siècles, Éditions EPIK, 2011 pp.12 et 13.